Le charme de l'Ailleurs...

RIO (Acrylique)

               Pierre était célibataire, avait 30 ans et s’ennuyait… Il voulait sortir de ses habitudes, de ses activités prévues, de sa famille qu’il connaissait trop bien, de ses relations avec lesquelles les échanges étaient trop organisés, de la chaleur étouffante de son cocon  !… Depuis longtemps il lui semblait qu’il perdait son temps, qu’il gâchait les belles années de sa jeunesse, qu’il gaspillait son énergie… Il aurait voulu faire le tour du monde, voguer sur une mer d’huile, prendre les longs courriers qui le déposeraient à Miami, à Singapour ou à Bali… peu importe d’ailleurs, il avait envie d’échapper à ce quotidien qu’il connaissait trop et qui lui paraissait si fade ! Toujours insatisfait, Pierre courait après un bonheur qu’il n’arrivait pas à atteindre !…

           

    

       Or, un matin de printemps, il se dit qu’il était temps d’agir, de sortir de ce malaise qui lui pourrissait la vie… Sur une longue inspiration il prît une grande décision, ferma la porte à double tour et partit sac à dos et pied léger vers des horizons inconnus, vers une vie nouvelle laquelle, pensait-il, lui apporterait surprises et contentements.

 

            

             Ses économies étant inexistantes, il se fit embaucher comme mousse sur un superbe navire en partance pour le Brésil… Le commandant, tout en surveillant la manœuvre, lui attribua une couchette dans un local sans hublot près de la chaufferie … et l’envoya aussitôt brosser le pont au milieu des moussaillons !… Ce n’était pas tout à fait ainsi que Pierre avait imaginé ses journées : Sans cesse, il trima, courba l’échine, fit taire son vertige pour monter au grand mât, ressentit la faim, le froid, l’humidité, sans parler du bruit tonitruant des machines derrière la mince cloison de sa cellule…Il subit propos acerbes et désillusions incessantes tout au long d’une interminable traversée qui l’amena, rompu, jusqu’à Rio, au milieu d’une foule dense et bigarrée…

RIO (détail)

 

« - Bon, se dit-il, soulagé, la mer et ses déboires ne sont pas pour moi… Peut-être pourrais-je me joindre à cette petite expédition qui se prépare à partir pour l’Amazonie… Ce doit être magnifique ! »

          

         Sans difficulté il fût admis au milieu du groupe des partants… sans non plus savoir exactement dans quelle sorte d’aventure il s’engageait … Après avoir parcouru les premiers kilomètres, sa vision des choses changea lorsqu’il se rendît compte que l’Amazonie n’était pas vraiment une plaine douce et verdoyante… Le chef venait de lui montrer du doigt le sommet qu’ils devaient atteindre avant la nuit, ce qui le laissa pantois… Après avoir traversé la forêt bruissant de feuillages et d’oiseaux multicolores, la paroi s’élevait brutalement en suivant un sentier aride surplombant l’Amazone… Pierre n’avait en tête que carnaval et musique, bananiers et palétuviers… Ils existaient aussi mais pas en prenant ce chemin et un revirement de situation s’imposait…Ce fût donc au moyen de gesticulations explicites qu’il fît comprendre au guide qu’il n’irait pas plus loin… 

 

             Le retour au port s’avéra simple mais Pierre dût essuyer une averse soudaine qui le trempa jusqu’à l’os… Affaibli par son voyage en mer, affamé et souffrant de démangeaisons insupportables, Pierre, tout en ressassant ses déconvenues, regrettait la paix de sa vie habituelle tandis qu’une idée fixe le tarabustait de plus en plus : rentrer à la maison, redescendre de son petit nuage… Or, lorsque l’on n’a pas un sou en poche, les pieds gonflés à l’étroit dans des baskets prenant l’eau et appauvri par tous ces espoirs déçus, rentrer en quittant tant de rêves inaccessibles n’était pas une mince affaire !

           Il fût donc aide de cuisine, cireur de chaussures et même arroseur de plantes tropicales avant de se refaire une santé et de pouvoir s’offrir le trajet qui le fît retrouver ce havre qu’il connaissait si bien, qu’il appelait de tous ses vœux et n’aurait jamais dû quitter…