Douche froide ...
Avec sa voix grave et un peu
fêlée, au timbre mélancolique, dans l’air calme du matin qu’il
déchirait d’un brusque sanglot, le premier coup de sept heures
tinta au clocheton de l’Hôtel de Ville.
Chico ouvrit un œil et
s’étira longuement, avec volupté, puis il bailla et chercha près
de lui le corps chaud et doux de Belinda… C’est en constatant le
vide de l’espace qui l’entourait que le souvenir lui revint !
Il laissa échapper un soupir, car sa vanité en avait pris un
coup !… Comment en était-il arrivé là ?
La veille, tout avait été
si parfait !… Tel un chevalier d’antan il avait redoublé
d’attentions et pris les précautions d’usage : Tout en la
couvant d’un regard admirateur, il pensait avoir réussi à ne pas
laisser paraître la tendance possessive contre laquelle il essayait
de combattre depuis toujours… Il s’était approché d’elle…
juste ce qu’il fallait pour qu’elle le remarque, mais en faisant
semblant de ne pas lui imposer sa présence ! Et pourtant, il
mourait d’envie de lui faire la cour, de réussir un coup d’éclat
pour éloigner tous ceux qu’il considérait comme des imposteurs
indignes de sa compagnie…
Comment ne voyait-elle pas qu’il
n’avait d’yeux que pour elle, qu’il se languissait d’elle au
point de la suivre dans le moindre de ses déplacements ?… Oh…
de loin, bien sûr… mais il ne pouvait supporter qu’elle ait une
vie à laquelle il ne participait pas, des amis qui ne pouvaient la
comprendre aussi bien que lui, qu’elle vive des expériences autres
que celles qu’il était prêt à lui proposer… Il pouvait être
tendre et imaginatif, courageux et même téméraire si c’était
pour qu’enfin il puisse un peu la surprendre… pour qu’elle
accepte de faire un bout de route avec lui !…
Or hier tout semblait
marcher pour le mieux : sur les sentiers de feuilles sèches,
ils s’étaient longuement promenés, ils avaient bu aux fontaines,
déniché les derniers crocus, humé l’inimitable odeur des bolets,
échangé de tendres regards et même suivi les péripéties d’une
escouade d’infatigables fourmis… Ils avaient tout partagé et il
lui avait semblé vivre un conte de fée…
fourmilière |
Ce n’est que sur le
chemin du retour qu’il avait déchanté… Alors qu’il se croyait
accepté, préféré, alors qu’il faisait des projets d’avenir,
alors qu’il rêvait d’amour et de bien-être, l’autre, celui
qu’il n’attendait pas, avait détruit en un clin d’œil sa
magnifique histoire…
Assis au croisement des
chênes, il était apparu dans toute sa fierté de jeune mâle sûr
de lui… Et Belinda s’était arrêtée… Belinda l’avait
rejoint comme si cette rencontre était écrite de toute éternité…
Elle était partie sans un regard pour lui… comme si c’était la
chose la plus naturelle du monde… comme si lui, Chico, n’existait
pas ! Quelle douleur il avait ressentie !…
Pourtant, étonnamment,
sa nuit avait été bonne ! Rentré à la maison il avait sombré
dans un profond sommeil…
- » Allons, mon
vieux, se dit-il, va donc manger les croquettes qui t’attendent et laper l’eau
claire du ruisseau… redresse-toi, refais-toi une beauté et dis-toi
que rien n’est jamais perdu… La vie t’attend et te prépare une
revanche… tant de mijaurées tournent autour de ta noble prestance
et ne demandent qu’à succomber à tes charmes… c’est à toi de
découvrir la perle rare, la future mère des petits chiots dont tu
rêves, car celle-là t’aura apprécié à ta juste valeur…
Lève-toi, il est 7 heures ! »
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