Au commencement était le Verbe ...



           Assise au soleil de ce merveilleux automne, je lis ... je lis sous les feuillages mordorés, je lis en levant la tête vers les hêtres et les bouleaux, je lis en saisissant au vol une feuille détachée par la brise pourtant si douce ... mais la saison est là, celle qui fait la transition entre les jours chauds  et colorés et la suivante ... celle des jours gris et glacés mais aussi celle des cristaux de neige et des soirées au coin du feu, celle qui, sous une peau craquelée prépare le renouveau !...
           
Et, ma lecture m'entraîne vers des pensées récurrentes et éternelles, telles ces feuilles qui ont vécu, tournoient et disparaissent pour mieux renaître ... car nos pensées ne sont-elles pas ainsi : elles arrivent et s'accumulent, se concentrent au gré des réflexions ou des conversations, stationnent ou se précipitent avec passion, puis s'éclipsent pour renaître sous une autre forme, avec un sens différent, grâce à la parole, au verbe, qui sait si bien les utiliser, les malaxer, les détourner, les enjoliver, les vêtir d'humour ou d'émotion, de beauté ou d'agressivité !... 

-"Les hommes sont devenus des hommes lorsqu'ils se sont mis à parler, personne ne sait trop quand, ni pourquoi, ni comment... Ce qu'il y a eu de décisif, c'était la parole. Le verbe. Ce que les Grecs appelaient logos... Le logos introduit les hommes au règne de la raison... Le propre de l'homme est de communiquer par le langage. Il parle parce qu'il pense, et peut-être ne pense-t-il que parce qu'il parle... De toutes les créatures connues il est la seule à parler. La capacité de parole met une barrière infranchissable entre les hommes et les autres... La parole a une réalité : vous la prononcez, vous l'écoutez, vous l'enregistrez, vous la reproduisez et vous la comprenez ... Mais cette réalité est d'une fluidité et d'une subtilité qui l'approchent de l'inexistence ...


... les paroles partent dans le vent ... et, volatiles, elles pèsent très lourd !... Où sont passées les paroles proférées par les hommes depuis qu'ils savent parler ? Nulle part, évidemment ... elles se sont évaporées !... Peut-on pourtant soutenir que tout se passe comme si elles n'avaient jamais existé ?... Elles imprègnent l'univers. Elles doublent le monde réel d'un monde virtuel !"



Extraits de textes tirés du roman "Une fête en larmes"
    écrit par Jean d'Ormesson
pages 185 - 186 - 187

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