Ephésias

Samedi 21 Octobre

Les touristes remontaient, sans se presser, la longue rue du centre d’Éphèse, prenant encore le temps de s’émerveiller en détaillant une sculpture passée inaperçue à la descente ou un dallage coloré. Cette partie de la Turquie du Sud-ouest regorgeait de richesses archéologiques fascinantes et riches d’histoire … Après avoir visité les maisons troglodytes aux cheminées pointant vers le ciel bleu leurs sommets chapeautés d’herbes folles, nous attendions tous de connaître cette ville mythique !
           
J’avais bu les paroles de Mustapha, notre guide, photographié le théâtre et la bibliothèque, imaginé la vie dans les ruelles, les échoppes, les thermes, les allées ensoleillées longeant des étals où le commerce régnait en maître … Et puis, j’avais eu envie de revenir seule vers notre point de départ … J’espérais encore découvrir quelque curiosité oubliée, voir de plus près telle statue posée sur un piédestal aux moulures à peine effritées … Ma promenade s’était arrêtée près d'un chat allongé sur un bas-relief dont je venais de prendre quelques clichés et, paresseusement, je m’étais assise en profitant du soleil couchant … C’est alors que, sur le talus avoisinant, un rai de lumière fit étinceler un morceau de grès ocré et tentateur … Il était petit, un peu terreux … Il m’interpellait ! D’après moi, vu sa couleur, il ne rentrait pas du tout dans la splendeur blanche des vestiges d’Éphèse …  J’étais attirée vers lui … Ce petit fragment était là pour moi, j’en étais certaine : il me semblait familier et paraissait m’attendre … Ce fût un jeu d’enfant de le récupérer et de le placer au fond de ma sacoche ! Je me laissai aller à un  irrésistible désir de rapporter ce petit morceau de terre d’Asie et, déjà, je lui attribuai des pouvoirs magiques … j’en ferai mon porte-bonheur !

Lundi 12 Novembre

Ouf ! Je viens de terminer le diaporama concernant mon voyage en Turquie … Je suis assez satisfaite de mes photos, même si quelques doublons auraient pu être évités ! Bon, le résultat n’est pas trop mal ; je m’améliore !
                       
Une onde de satisfaction me traverse … Ce fût un beau voyage !...  Machinalement, je récupère au creux de ma main le petit fétiche qui me sert de presse-papiers … Comme d’habitude, avant d’aller prendre l’air au jardin, je le glisse dans ma poche … Il m’est très difficile de m’en séparer … je lui parle … je l’invoque … je lui fais part de mes soucis, de mes angoisses, de mes joies … il m’est devenu indispensable … Aujourd’hui, nous allons dégager l’entrée de tous ces géraniums jaunis qui s’étiolent … et mettre les pots à l’abri !

- « Tu vois, lui dis-je, je vais commencer par cette superbe jarre qui trône au pied de l’escalier ; j’y tiens beaucoup … elle appartenait à ma mère et je dois la rentrer avant les grands froids pour éviter le gel !... J’espère qu’il n’est pas trop tard ! »

Mon sécateur taille, raccourcit et les tiges affaiblies et cassantes vont rejoindre la poubelle …

- « Aide-moi, Ephésias, la jarre est lourde et je ne voudrais pas la heurter ! »

Mes mains, gantées de caoutchouc, l’enserrent tandis que mes doigts cherchent maladroitement les aspérités pour mieux la retenir … Soudain, dans sa rondeur ocrée, mon index glisse au centre d’une cavité inconnue envahie par les racines … le gel m’aurait-il devancée ?… Avec appréhension je fais tourner la potiche pour constater l’étendue des dégâts … Bien visible, le creux semble me narguer … Abattue, je me redresse et monologue :

- « L’élément manquant est irrécupérable … il a dû s’émietter au milieu du terreau … comment retrouver un morceau de grès, de même épaisseur, et qui puisse s’adapter pour éviter l’écoulement de l’eau ?... C’est trop bête ! Il faut que je trouve le moyen de faire la réparation … »

C’est alors qu’ Ephésias se manifeste … Un de ses côtés anguleux a soulevé le tissu de ma polaire alors que je reposais la jarre !  Déjà ma main le tourne et le retourne …
           
-«  Souffle-moi une solution … Comment récupérer cette poterie qui m’est chère ?... »
                                                                                                                  
Mes doigts encerclent mon fragment de souvenir … Ma tête cherche à résoudre le problème du trou béant … le trou qui paraît être à la mesure du fragment que je malmène … jusqu’au moment où, impulsivement, je le présente vers l’endroit de la cassure !... Et là,  mes yeux n’arrivent pas à croire ce qu’ils constatent : mon petit Ephésias s’emboîte parfaitement sur l’emplacement concerné !...

Stupéfaction, mystère, ravissement, destinée … : mon porte-bonheur a trouvé sa place définitive dans ma vie de tous les jours … Je ne cherche pas à comprendre … C’était écrit !




                                                                                         

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