Un nouveau départ ...


      Je courus à perdre haleine jusqu'à ce que la voiture eût disparu après le dernier virage. Je n'avais plus aucune chance de la rattraper et, de toute façon, j'étais épuisé ! Désespéré par l'attitude de mes maîtres, et bien que leur réaction soit prévisible depuis fort longtemps (2 fois déjà ils avaient essayé de m'abandonner), je me laissai tomber sur le bord de la route et humai l'air matinal en ruminant ma déception : aurais-je un jour la chance de trouver un foyer accueillant dans lequel je ne serai pas un intrus ?


      C'est alors qu'une odeur suave et toute proche m'aida à me requinquer ... Allons, je ne devais pas me laisser aller à la mélancolie et à la rancœur en risquant de perdre un temps précieux mais plutôt relever la tête et trouver gîte et nourriture ... Jusqu'à présent, je n'avais bénéficié que de reliefs jetés par une main désinvolte et d'une niche sale et glaciale, je n'avais donc rien à regretter !... Je n'avais connu que des regards indifférents et aspirais à un peu plus de chaleur humaine tout en me demandant si cela était possible !...

          D'un bond je me remis sur pied et flairai à nouveau ce relent de plat mijoté parlant de tendresse et me faisant saliver !... Il me suffisait de remonter le long des effluves qui devenaient de plus en plus émoustillantes :

-" D'où viens-tu le chien ?... Que fais-tu par ici ?..."

     Quelle question idiote ! Comment aurais-je pu répondre !...

         C'est alors que je me trouvai nez-à-nez avec un jeune blondinet au visage d'ange qui me souriait les yeux brillants ... Je dis "nez-à-nez" parce qu'il était vraiment à ma hauteur, installé dans un fauteuil roulant lequel, sans bruit, arrivait près de moi !... Je le regardai, amusé par sa réflexion et, conquis, posai le museau sur ses genoux !...


     -" Comment t'appelles-tu ?..."

     Encore !... Pour ne pas l'effrayer je risquai un petit grognement d'incertitude, lui léchai les mains avec douceur et attendit !

-" Eh bien, je t'appellerai Pollux, viens avec moi ..."

          Avais-je bien entendu ? Cet enfant était sans doute la chance de ma vie, mais je pensai aussitôt qu'il n'allait pas être seul à décider de mon adoption ... Et puis, je connaissais tellement la fourberie des humains que je décidai aussitôt de me montrer docile tout en restant sur le qui-vive !

     Avec une aisance parfaite, il avait déjà fait demi-tour et refaisait le chemin en sens inverse ...

    -" Basile, Basile, où es-tu ? Ne t'éloigne pas trop de la maison, nous allons déjeuner dans un instant... " entendis-je au moment même où apparaissait, vêtue de blanc, une jeune femme aussi blonde que Basile et dont le regard clair et étonné se posait sur moi :

-" D'où vient ce chien ?... Ne le laisse pas t'approcher ... sans doute a-t-il un propriétaire ?..."

Basile l'interrompît bien vite :

-" Je t'assure que non ... Il était seul au milieu de la route et est venu vers moi comme s'il me connaissait depuis toujours !... Je t'en prie ... J'aimerais tant le garder !... Le vieux Castor vient de mourir et j'ai tant de peine à cause de son absence ... C'est le ciel qui me l'envoie au bon moment ... D'ailleurs, je lui ai déjà donné un nom : il s'appellera Pollux !..."

    L'enfant s'animait, il cajolait sa mère penchée vers lui et je voyais bien qu'elle ne pourrait résister longtemps à la prière de Basile !... Alors je jouai le tout pour le tout ... la situation était trop importante et j'avais besoin, moi aussi, d'un peu d'amitié et de réconfort ... Sans réfléchir davantage, dans un élan sincère, je fis un saut démesuré, atteignis les épaules de la mère de Basile et lui léchait vigoureusement le visage ... J'essayai même quelques jappements aigus (je pense maintenant qu'ils ont fait leur petit effet ...) en remuant mon arrière-train avec tout l'espoir que j'avais au cœur ...

           Basile riait aux éclats mais, surprise, et certainement conquise, sa maman se retrouva soudain assise dans l'herbe ... en essayant de me repousser, je le vis, sans aucune conviction !... Alors, profitant de ma victoire, j'entamai une sarabande joyeuse autour d'eux et ne m'arrêtai que lorsque, à mon tour, je perdis aussi l'équilibre !

             Un peu groggy je tournai la tête vers mes nouveaux amis, les oreilles pointées, la truffe à l'affût, la langue pendante et dans une béatitude bienheureuse entendit les mots que j'attendais :

-" D'accord, d'accord ... calme-toi Pollux, nous allons faire un essai et, si personne ne vient te réclamer, tu feras partie de la famille !..."

              De ce côté-là j'étais tranquille et heureux d'être tombé du ciel au bon moment ... Que ces paroles étaient douces à mon oreille !... C'est alors que, sans nous concerter, moi marchant fièrement entre Basile et sa maman, un peu ébouriffée, la robe un peu froissée, mais souriante, nous nous dirigeâmes vers la maison pour déjeuner ...
     
     Je pris quand même le temps de glisser un clin d’œil de connivence à Basile en lui chuchotant dans mon langage de cocker amélioré :

-" Ne crains rien, je sais me tenir et tu n'auras pas à rougir de moi ... entre nous, ta mère est superbe !..."


     Basile était très intelligent ! Il me tapota la clavicule pour me faire signe qu'il m'avait très bien compris !

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