Valentine

           Heureusement la vie comporte aussi des moments souriants, des moments dans lesquels l'esprit vagabonde ...  Le mien vient de m'entraîner, sans doute en faisant des efforts pour sortir un peu de cette période gelée, vers une petite nouvelle que je vous confie en espérant qu'elle vous distraira !...


Trente minutes de retard !... Le froid était terrible.
Il releva son col, s'abstint de passer sur le quai, son train étant parti depuis belle lurette     et le prochain n'étant programmé qu'à 10 heures 23 !
Durant le trajet, assis dans la camionnette du plombier, il avait eu le temps de ressasser sa contrariété ... Quel malheureux concours de circonstances ! ...

Pourtant, ce matin, après une nuit reposante, une douche un peu fraîche et un café brûlant, il s'était dirigé d'un pas alerte vers son garage, heureux de commencer une nouvelle semaine pour ce salon du Livre dont il espérait beaucoup. Les ennuis avaient commencé lorsqu'il avait dû renoncer à faire démarrer sa vieille Renault ... Bien sûr, elle était à remplacer, mais le temps lui manquait pour s'en occuper ! Ah, s'il avait pu prévoir ... De toute façon, il n'était pas question d'appeler un taxi dans la bourgade voisine, car il fallait déjà 20 minutes pour venir le chercher dans son chalet d'alpage !...


           Antoine avait alors repris espoir lorsqu'un joyeux coup de klaxon l'avait interpellé et, avec soulagement, il s'était assis à côté du chauffeur pour essayer de sauter dans le train de 6 heures 30 comme prévu. Ce qui l'était moins, ce fût l'arrivée intempestive d'un énorme tracteur qu'ils avaient dû suivre pendant 10 minutes ... Il fût alors impossible d'arriver à temps et voilà ... Le plombier était reparti en le déposant devant la gare déserte, le jour était à peine levé, il avait froid aux pieds (ses chaussures de ville étant inadaptées au sol glacial) et, en peu de temps, son moral était tombé à zéro ... la journée commençait très mal ! ...


          Durant le périple camionnette-tracteur il avait utilisé son portable pour avertir Marie de ce contretemps ; il la laissait toute seule pour organiser le stand, recevoir l'auteur, parer au plus pressé ... Elle l'avait rassuré ... elle se débrouillerait ... qu'il ne s'inquiète surtout pas ! ... mais, elle serait soulagée de le voir en fin de matinée !

         Antoine était contrarié, de mauvaise humeur ... Mais pourquoi donc avait-il tenu à passer le week-end dans ce trou perdu ? ... Ah, il ne le savait que trop ! Ces derniers temps il suffoquait dans les émanations des pots d'échappement, au milieu d'une foule bruyante et pressée, dans un quartier où le béton remplaçait le bois, là où la pollution noircissait le tronc des platanes ! ... Il lui manquait sa forêt à l'odeur de résine, l'éclosion des primevères le long des torrents, le chant des rossignols ! ... La montagne était si belle au printemps !

        L'air restait frisquet ! Antoine enfonça les mains dans les poches de son pardessus, allongea le pas et eût envie d'une boisson chaude pour se réchauffer ; de toutes façons, il avait le temps ! ... Sans hésiter il se dirigea vers la seule auberge du village ; ce retard lui permettrait, au moins, de saluer Valentine, une amie de toujours, laquelle gérait l'établissement depuis plus de 20 ans. A cette époque, il y venait déjà en culottes courtes et se régalait de tartes aux myrtilles, de tourtons aux framboises, de chocolat mousseux et parfumé, chaque fois que les vacances le ramenait dans les Alpes avec ses parents !

        Il poussa la lourde porte de noyer, la referma derrière lui.

« -Valentine ?...

        N'obtenant pas de réponse il avança dans le vaste hall cerné par une nuit encore bien installée ; seul le tic-tac de la vieille horloge vivait dans la pénombre.

Les fenêtres du séjour s'ouvraient sur la nature ; nul besoin de toile de maître ici, le regard s'émerveillait d'un paysage différent selon les saisons, mais toujours rafraîchissant, ensoleillé, verdoyant…

        Il appela de nouveau

-" Valentine ... c'est Antoine !"

Aucun bruit ne trouait le silence, la maison semblait déserte !

-" Tiens, se dit-il, où peut-elle être à une heure pareille ... voyons la véranda !"

Dans de grandes jardinières, Valentine cultivait persil, thym, basilic et autres herbes aromatiques destinées à corser terrines et ratatouilles ; elle récoltait ainsi, sans interruption, une moisson précieuse et odorante. Antoine n'avait pas oublié ses préparations savoureuses et se dit, qu'après tout, il aurait le temps d'avaler un petit en-cas !


Personne non plus dans la véranda ; aucun bruit dans les chambres, à l'étage ! Soudain, il se sentit mal à l'aise ... A cette heure, son amie était toujours chez elle, prête à servir un petit déjeuner aux gens de passage ; le café aurait dû embaumer le rez-de-chaussée ... C'est alors qu'avec inquiétude il huma une odeur de brûlé venant de la cuisine ; soucieux, il remarqua, en même temps, la fumée qui envahissait tout l'espace ... Rapidement, il se précipita vers l'énorme cuisinière émaillée, brûlante de toutes parts, saisit un torchon, ouvrit le four et en retira une plaque de brioches calcinées qu'il fit glisser, maladroitement, sur le carrelage !

L'anxiété s'installa ... Des interrogations se bousculèrent dans sa tête ; peu à peu, l'affolement le gagna ... Montant l'escalier quatre à quatre il appela, ouvrit les portes, examinant coins et recoins mais, hélas, sans résultat ! Décontenancé, il redescendit vers la salle à manger, imaginant alors des situations toutes plus angoissantes les unes que les autres !...

Le jour s'installait doucement, chassant les ombres ; le soleil levant jeta un rayon oblique sur la table massive, en mélèze vermoulu, trônant au centre de la pièce. Pensivement, Antoine suivit ce rai de lumière jusqu'à la fenêtre éclaboussée de clarté. Ce chemin éblouissant folâtrait, au passage, sur le velours d'un des deux fauteuils si chers à Valentine, le second se dissimulant dans une encoignure du salon, près de la table basse ; ils lui venaient de ses parents et elle y tenait beaucoup !

Avec un soupir, Antoine s'y laissa tomber. Ce fût à ce moment précis que la panique le saisit : son regard venait de découvrir, disséminés un peu partout, des cartons béants, remplis jusqu'au bord d'objets enveloppés ... la clarté nouvelle dégageait un chaos inhabituel : chaises renversées, couvertures traînant çà et là, meubles manquants et, au centre de ce déballage, le soleil jouait avec les ocres de la merveilleuse amphore ornant depuis toujours le premier étage ! ... C'était évident ... Il s'agissait d'un cambriolage ! Sans doute avait-il dérangé les malfrats ...


Mais, Valentine dans tout çà ? Où l'avait-on abandonnée ? ... Avait-elle été blessée ? ... Était-elle inconsciente ? ... Son cœur avait-il supporté cette frayeur ? ... Depuis plusieurs années il la savait surveillée par un cardiologue !

- " Un petit problème sans gravité ", lui avait-elle répondu lorsqu'il l'avait questionnée. Il n'avait pas insisté ! Aujourd'hui il se reprochait amèrement son manque d'attention, sa légèreté.

Antoine avait oublié son train, son rendez-vous, le salon, Marie ... Il n'avait plus qu'une idée, une idée fixe et primordiale : retrouver Valentine !

- " Antoine ... quelle bonne surprise ! ..."

Son prénom lancé par une voix connue et toute proche le sortit de son accablement. Avec un sursaut, croyant rêver, il fixa Valentine si menue dans son tablier à fleurs ... Tout en lui appliquant, sur chaque joue, un baiser retentissant, elle se précipita vers la cuisine :

-" Ciel, mes brioches ! ..."

Antoine, éberlué, enregistrait le remue-ménage sans pouvoir réagir :

-" Pourquoi ne m'as-tu pas appelée ? Mon fauteuil est si confortable que je m'y suis endormie ! Et, maintenant, quel gâchis ! Il va falloir recommencer ! ... Quel désordre, n'est-ce pas ? ... Vois-tu, hier soir, nous avons fêté le printemps ! ... La jeunesse avait tout organisé ... Tout-à-l'heure, ils reviendront chercher leur vaisselle ... Ils ont dû danser toute la nuit ! ... Moi, j'offrais le local et les pâtisseries ... Tu tombes bien d'ailleurs ... Voudrais-tu remonter l'amphore au premier ? ... J'aimerais éviter la casse ! ... Bien entendu, tu déjeunes avec moi ... As-tu perdu la voix ? ... "
 

Tout en parlant Valentine s'agitait, préparait un plateau, la cafetière, sortait le miel, le beurre, la confiture ... Surprise de ne pas obtenir de réponse, elle revint sur ses pas :

-" Aurais-tu un souci ? ... un problème de cœur ? ..."

Antoine, déconcerté, réfléchissait à demi rassuré, les yeux toujours rivés sur l'encoignure obscure du salon ...

-" C'est à moi de te poser cette question ! Pourquoi ne m'as-tu pas répondu tout-à-l'heure ? Tu as le sommeil bien lourd ! ..."

Un éclat de rire malicieux lui répondit :

- " Attends, je n'y pensais plus ! ... "

Rougissante, elle retira prestement de ses oreilles les deux petits fautifs de cet imbroglio en expliquant :

-" La soirée s'est terminée près de chez moi, dans la salle des fêtes ! Avec leur musique de sauvage, il m'était impossible de me reposer ... Alors, tu vois, j'ai employé les grands moyens ! ..."

Abasourdi par le comique de la situation, Antoine sentit un irrésistible fou-rire l'envahir, le submerger, comme une vague bienfaisante et réparatrice ôtant à la fois la peur et les doutes. L'entraînant dans un tourbillon, il murmura dans une oreille dégagée de toute entrave :

-" Aujourd'hui, je venais juste te dire bonjour entre deux trains et j'ai vécu un véritable cauchemar ! ... je dois lire trop de policiers ... "

Devant la mine interrogative de Valentine, il ajouta :

-" Le mois prochain, je reviendrai ... Nous parlerons de nos histoires de cœur ! ... En attendant, on le boit ce café ?"
 





Commentaires

  1. Merci pour ce moment de détente et de récréation. Un bien joli conte où tu nous as fait rencontrer Valentine et Antoine, deux touchantes personnes. N.B.

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